Les petites règles propres à chacun


Fondatrice et collaboratrice
Conseillère pédagogique au primaire et au secondaire
Il y a quelques années, dans notre salle de profs, un mystérieux collègue masculin (du moins, c’est ce que nous avons déduit) taillait sa barbe et/ou sa moustache, laissant des petits poils partout sur notre lavabo commun. Cette pratique en irritait plus d’un et plus d’une. De un, car, selon mes propres règles de savoir-vivre, on fait ses soins corporels chez soi… et de deux, au minimum, on se ramasse. Il semble que pour ce collègue, ces règles ne soient pas les mêmes.
Ces règles, qui diffèrent d’une personne à l’autre, créent des frustrations et peuvent venir miner notre humeur. Par contre, si ces règles ne sont pas des règles établies en tant que règlement ou règle de société connues de tous, elles peuvent être bien différentes d’une personne à l’autre. On ne parle pas ici, bien sûr, d’arrêter à un stop ou encore de dépasser dans une file d’attente, qui sont des règles bien claires, mais plutôt de ces règles qui nous font plus réagir différemment d’une personne à l’autre.
Ces règles sont très présentes en classe également. L’élève qui n’a pas la bonne couleur de chandail sous son polo d’école passait souvent inaperçu dans ma classe. Je comprends bien sûr l’importance de faire respecter l’uniforme aux élèves, mais ce n’était pas une règle qui m’irritait d’emblée ou qui venait me chercher. Par contre, un élève qui mâchait sa gomme comme une vache broutant de l’herbe… m’irritait au plus haut point ! Pourtant, dans les deux cas, ce ne sont pas des manquements bien graves, mais ces règles sont celles qui nous dérangent et nous font réagir. Et chaque collègue qui avait ces mêmes élèves pouvait réagir différemment. Un pouvait réagir fortement au chandail et l’autre pas du tout à la gomme mâchée!
Avez-vous déjà réagi avec frustration lorsqu’une copie corrigée n’avait pas de nom? Vous l’aviez pourtant dit et redit, mit une ligne juste après NOM: __________. Alors pourquoi, semaine après semaine, année après année, les élèves oublient et ne mettent-ils pas leur nom? J’aimerais vous dire que j’ai la solution… la vérité, c’est que les élèves vont continuer d’oublier. Le bout où l’on a du pouvoir est sur la frustration qu’on laisse monter lors de cette constatation. Le 5-10 minutes où je chiale, je pompe sur le fait qu’ils ont encore oublié, me fait vivre des émotions négatives qui ne sont pas nécessaires à ma journée.
Est-ce que ça veut dire que je ne leur dirai pas d’écrire leur nom? Que je ne réviserai plus les participes passés en secondaire 5 (ben oui, ils ne le savent pas encore parfois!!!) ou que j’arrêterai de répéter aux élèves de dire «I agree» et non «I am agree»? Et bien non, je vais continuer. Comme je peux exprimer à mes collègues que de se tailler la barbe dans la salle des profs me dérange ou d’expliquer aux élèves que la gomme mâchée comme une vache me dérange. Mais je n’ai de contrôle que sur mes réactions face à ces manquements à mes règles personnelles, à mes attentes de façon de faire.
Pour bien vivre ensemble, il faut justement avoir du respect pour les irritants et les petites règles de chacun. Alors, pourquoi ne pas prendre un moment, les identifier et les exprimer aux gens qui nous entourent? C’est ce qu’on fait en famille, en couple, entre amis. C’est ce qu’on devrait faire entre collègues et en classe également. Il faut par contre être bienveillant, car même si on explique un irritant à quelqu’un, il se peut qu’il oublie ou que ses propres règles soient à l’encontre de celles-ci et soient donc difficiles à respecter… comme vos élèves oublieront sûrement encore de mettre leur nom sur leur copie à un moment ou à un autre.
Alors la prochaine fois que je serai confrontée à une de ces frustrations, je prendrai une grande respiration et choisirai de ne pas vivre ce moment frustrée, je choisirai de faire preuve de bienveillance… et d’exprimer à nouveau à la personne concernée que la règle est importante pour moi… bon j’avoue, plus facile à dire qu’à faire, mais on agit ce sur quoi on a du contrôle nous-même 😉