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«Moi, j’haïs ça lire»

Donner le goût de la lecture aux élèves en difficulté

Image par Florin Radu de Pixabay

Jennifer Floymon

Enseignante au secondaire


D’aussi loin que je me rappelle, j’ai toujours ADORÉ lire. En 2e année du primaire, on pouvait choisir à la bibliothèque de l’école les romans qu’on allait lire en classe. Les élèves étaient dirigés vers certains rayons, dans lesquels on retrouvait des livres qui convenaient à leur niveau. Moi, toutefois, ces livres ne me satisfaisaient pas. Ils étaient trop courts, je passais au travers trop rapidement… J’ai alors eu la permission de choisir parmi d’autres rayons, où les livres étaient plus volumineux. La joie que cette exception m’a procurée ! J’y repense et cela me fait sourire. Je suis reconnaissante envers mes enseignants de ne pas m’avoir freinée sur ce plan; ils ont permis à ma passion de se développer.

Toujours au primaire, j’avais vraiment de la facilité à l’école. Je comprenais vite, je travaillais vite, je terminais vite. J’avais pris la mauvaise habitude de cacher mon roman dans mes cahiers et, au lieu d’écouter ou de faire les travaux, je lisais. Parfois on me laissait faire, parfois on me confisquait mon livre… Je comprends mes enseignants de l’époque : l’élève ne fait pas ce qui est demandé, mais en même temps, elle LIT… comment la réprimander ?

À la maison, dans ma chambre, j’avais une petite lampe sur ma table de chevet. Une fois au lit, j’attendais que mes parents remontent à l’étage, j’allumais ma lampe et je lisais parfois jusqu’aux petites heures du matin (surtout lorsque j’ai découvert les Harry Potter… Seigneur !!!). Mon père avait compris mon stratagème et il redescendait souvent au bout de 30 minutes. J’éteignais ma lampe en vitesse et je faisais semblant de dormir… Mon père, sans se laisser berner par mon visage d’ange endormi, faisait semblant de toucher l’ampoule de ma lampe et de se brûler. Je me faisais alors chicaner… J’ai fini par découvrir les lampes frontales et je lisais sous mes couvertures. J’étais une enfant déterminée et pleine d’idées !

Il s’agit d’un long préambule pour dire, en somme, que j’adore la lecture. C’est une de mes passions et ça fait partie des choses importantes dans ma vie. Il est donc naturel que le goût de la lecture fasse partie de mes priorités en tant qu’enseignante.

Depuis près de 6 ans, j’enseigne le français en adaptation scolaire. De croyance populaire, un élève en difficulté, ça déteste lire… En grande passionnée de lecture que je suis, je me suis donné un défi : faire lire mes élèves. Avec intérêt. Avec engagement. Dans le plaisir. Je leur répète fréquemment ceci : «Si tu n’aimes pas lire, c’est que tu n’es jamais tombé sur le bon roman pour toi. Le jour où ça arrivera, tu liras ce roman avec plaisir. Tu ne deviendras peut-être pas un passionné de lecture, mais celui-là, tu ne trouveras pas ça pénible de le lire. Tu auras peut-être même parfois du mal à le déposer, car tu ne voudras pas t’arrêter.». Bon, vous devinerez qu’en entendant ça, mes élèves me marmonnent un «Ouin ouin c’est ça» des plus sceptiques… J’ai aussi souvent droit au «Impossible ! Moi, j’haïs ça lire.».

Au fil des ans, j’ai lu plusieurs romans avec un seul but : trouver LE roman qui accrocherait mes élèves non lecteurs. Je me suis plantée à quelques reprises. Il y a 2 ans, j’ai choisi un roman facile à lire, mais dans lequel il ne se passe pas grand-chose. Je croyais que la facilité attirerait mes grands ados. Je me suis trompée, ils ont détesté le livre et peu se sont rendus à la fin. L’an passé, j’ai offert le choix entre 2 romans : bien que je n’aie pas atteint mon but, j’ai senti que le fait de pouvoir choisir avait eu un impact positif pour mes élèves. J’ai donc gardé cet élément pour la suite.

Cette année, je suis particulièrement fière : j’ai réussi mon défi pour la première fois. J’ai présenté à mes élèves 2 romans : Rap pour violoncelle seul, de Maryse Pagé, et Le cri, de Martine Latulippe. J’ai présenté les romans le mardi après-midi. Une fois leur choix fait, les élèves se sont installés pour une période de lecture de 20 minutes. Eh bien, ce jour-là, j’ai dû gérer des élèves qui lisaient au lieu de faire le travail (petit clin d’œil ironique à mon enfance…). Tout l’après-midi. Déjà, je sentais la victoire se pointer le bout du nez. Les élèves sont allés en stage le mercredi et le jeudi (ils sont dans un parcours d’alternance études-travail). À leur retour, le vendredi, un élève avait fini son roman. Le vendredi soir, je recevais un message sur Teams à 19h45 : «Jennifer, je voulais juste te dire que j’ai fini mon roman.» Lundi matin, un autre élève m’annonçait avoir terminé son roman pendant la fin de semaine. Le mardi, je prêtais Rap pour violoncelle seul à un élève qui était absent la semaine précédente. Alors qu’il maugréait en recevant son roman, un élève lui dit : «Tu vas voir, il est crissement bon. Pis pourtant, moi aussi j’haïs lire.» J’avoue qu’à ce moment-là, j’ai vécu une petite émotion. Tous ces petits éléments mis ensemble m’ont fait réaliser que j’avais réussi mon défi. Mission accomplie : mes élèves lisaient avec plaisir et étaient engagés dans leur lecture. Au point d’avoir du mal à arrêter de lire. Depuis, j’ai envie de le crier partout. Je suis un peu intense, mais ça me fait tellement plaisir que mes petits ados en difficultés d’apprentissage lisent un roman et qu’ils aiment ça. Ça me remplit de joie, ça donne du sens à mon travail et ça me prouve que je fais la bonne chose. Et ça, pour moi, c’est toute une valorisation.

Avec l’expérience, j’ai aussi mis en place plusieurs stratégies afin de favoriser le développement de la lecture dans ma classe. Premièrement, j’ai instauré une période de lecture obligatoire. Avant, la lecture du roman faisait partie du plan de travail de la semaine (les élèves choisissaient quand ils lisaient dans la semaine… ils ne lisaient donc jamais). Nous avons donc un 20 minutes de lecture en début de période et les élèves savent à quelle page ils devraient être rendus à la fin de la semaine pour respecter le rythme leur permettant de terminer leur lecture à temps pour l’évaluation sur le roman. Deuxièmement : maintenant, quand c’est le moment de la lecture obligatoire, je sors mon livre et moi aussi, je lis. Peut-être pas toute la période de lecture, mais un bon moment. Je veux être un modèle pour mes élèves. Je me vois mal leur dire de lire alors que moi, je ne le fais pas. J’emmène donc un roman et quand ils lisent, je lis. Depuis que je fais cela, je n’ai jamais eu à gérer un élève qui ne lisait pas pendant la période de lecture. J’ai aussi remarqué que les élèves s’intéressent à ce que je lis : ils me demandent ce qu’est mon roman, de quoi ça parle. Troisièmement, je fais maintenant une évaluation à la moitié du roman et une à la fin. Sinon, mes élèves oublient le début du roman et ils ont de la difficulté dans l’examen. Ils ont donc maintenant deux plus courtes évaluations au lieu d’une longue. Chaque année, je vois le soulagement se peindre sur leur visage quand je leur annonce cela. Finalement, pour le dernier roman de l’année, je les laisse choisir le roman qu’ils veulent. Notre fantastique bibliothécaire (elle est vraiment merveilleuse) vient en classe avec un chariot qui déborde de livres et elle les présente un à un. Il y en a de tous les genres, des plus longs et des plus courts; vraiment pour tous les goûts. J’accepte même que des élèves amènent un livre de la maison si c’est ce qu’ils préfèrent; je leur demande simplement de me le montrer pour que je puisse vérifier que le niveau leur convient. Évidemment, cela me demande plus de travail, puisque j’ai une vingtaine de romans différents. J’ai donc créé un carnet de lecture plus général qu’un examen et ce carnet convient à tous les romans. Il me permet d’évaluer tous les processus en lecture ainsi que la compréhension générale. C’est un peu plus long à corriger, mais je trouve que ça en vaut franchement la peine pour faire lire mes petits protégés !

Bien que j’aie trouvé non pas un, mais bien deux romans que mes élèves ont apprécié lire, je continue mon défi. En effet, j’ai certains élèves qui reviennent dans ma classe pour une deuxième année et parfois même pour une troisième année (j’enseigne en FMS). Pour ceux-là, je dois maintenant trouver de nouveaux romans à leur offrir qui capteront leur intérêt de la même façon que ceux de cette année. Une chance que j’aime les défis !

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