Covid-19 2020,  Enseignement positif,  Jennifer Floymon,  Pédagogie

Des élèves dans ma classe, s’il vous plaît!

Image par Alexandra_Koch de Pixabay

Jennifer Floymon

Enseignante au secondaire


Les derniers mois n’ont pas été évidents pour nous, les enseignants. En fait, je parlerai pour moi seulement. Nous avons tous notre façon bien à nous de vivre la crise actuelle. Je ne voudrais surtout pas prêter des intentions ou des sentiments à d’autres, ou leur mettre des mots dans la bouche.

Donc, les derniers mois n’ont pas été évidents pour moi, enseignante. Après avoir pu profiter d’un court répit en mars dernier, les demandes et les exigences de mes dirigeants et du gouvernement se sont vite accumulées en peu de temps : appels hebdomadaires/quotidiens à nos élèves, surtout les plus vulnérables (je suis enseignante en adaptation scolaire; c’est ma clientèle, les élèves vulnérables !); enseignement à distance; suivi des apprentissages; partage avec l’équipe-école du travail effectué chaque semaine dans un document collaboratif ouvert à tous; et plus encore. Quand, finalement, mon école a rouvert ses portes au personnel seulement, j’ai sauté de joie : enfin, je retrouvais mon milieu de travail, ma routine, mes habitudes ! Ma joie aura été de courte durée, puisque 3 jours plus tard, j’étais envoyée en renfort au primaire. On m’a assigné une classe de 6e année jusqu’à la fin de l’année. Bien que j’y sois allée de reculons au départ (c’est d’ailleurs le sujet de mon seul billet sur ce magnifique blogue qu’est Espaceprof), je suis finalement reconnaissante d’avoir vécu cette expérience. Outre le fait que j’avais l’impression d’abandonner mes propres élèves du secondaire, quelle chance que de me retrouver en classe avec de petits ados/préados à qui apprendre une multitude de choses. En « vrai ». Devant moi. À 2 mètres, bien sûr, mais si proches, comparé à la distance d’un écran et de hauts-parleurs dysfonctionnels…

Quand je suis revenue en août, après un été de congé unique en son genre, j’étais prête. Je savais à quoi m’attendre. Le lavage des mains, le port du masque, la distanciation, les dîners en classe, etc. Nous avons été « lancés » un peu au hasard lors du retour en mai. En août, c’était « organisé ». Autant qu’on peut l’être en situation de pandémie mondiale que personne parmi nous n’a jamais vécue. Évidemment, ce n’était pas parfait. Évidemment, il y a eu des erreurs, des revirements de situation, des décisions prises sur le coup qui se sont avérées êtres les mauvaises; cependant, nous avions tous quelques mois de vécu de plus derrière la cravate. J’étais nerveuse face à la rentrée. Cependant, pas plus que d’habitude. C’est surtout là où je remarque la différence entre ceux qui sont allés prêter main-forte au primaire et ceux qui n’y sont pas allés : l‘anxiété. (À noter que je sais que TOUS ont travaillé très fort, peu importe leur tâche durant la fin d’année scolaire. Loin de moi l’idée de diminuer le travail de qui que ce soit. Toutefois, j’ai effectivement remarqué une différence dans la gestion du stress face à la rentrée entre les enseignants selon le type d’enseignement dispensé de mai à fin juin). La peur face à l’inconnu. Le sentiment de devoir s’adapter sans trop être certain de ce à quoi on devra s’adapter.

Quand j’ai vu arriver mes élèves, le 2 septembre, mon cœur a fondu. Mes grands ados. Avec moi. Dans la classe. J’en aurais pleuré. On aura beau dire ce qu’on veut, RIEN n’égale le fait d’avoir nos élèves avec nous, en présentiel. On a beau être dynamique en télé-enseignement, maîtriser la technologie à son meilleur, être préparé comme jamais… je pense que jamais rien ne sera aussi bénéfique, efficace et aidant que d’être avec nos élèves, en chair et en os.

Une fois cette constatation faite, je me suis aperçue que j’ai beaucoup mieux accueilli chaque changement que l’on nous a imposé. Dîners en classe ? Ok. Pas d’ateliers de garage ou de cuisine, pas de locaux informatiques, pas d’activités dans l’école ? Ok ! Le masque ET les lunettes/la visière à moins de 2 mètres ? Ok, s’il le faut. Les élèves avec le masque en permanence ? Ouf…. Ok.

J’ai retrouvé le plaisir d’enseigner «physiquement» : utiliser le tableau blanc, les babillards, me déplacer dans la classe, aller répondre aux questions aux bureaux des élèves, lire à voix haute en passant entre les rangées,  etc. Tellement plus agréable que de parler devant ma caméra en voyant des petits bouts d’écran. J’aime faire des blagues et les voir/les entendre rire (les quelques-uns qui rient de mes blagues, on s’entend).  Voir un élève réprimer un sourire, car il ne veut pas me montrer qu’il me trouve drôle. En télé-enseignement, ce tout petit élément m’aurait échappé, c’est évident. Pourtant, il s’agit de l’un de mes petits bonheurs. J’aime leur dire bonjour quand ils entrent en classe, et tout de suite voir s’ils vont bien ou non, seulement par la façon dont ils me répondent. Je peux ensuite intervenir rapidement si c’est nécessaire. Même maintenant, avec le masque obligatoire en tout temps (j’enseigne en zone rouge), je les connais suffisamment pour être capable de les déchiffrer seulement en voyant leurs yeux. J’aime leur dire au revoir sur le bord de la porte, en fin de journée, alors qu’ils sortent un par un. Les voir me regarder en attendant que ce soit leur «bonne soirée [nom de l’élève], on se voit demain!» qui sorte de ma bouche. De toutes petites choses. Plein de toutes petites choses qui, pourtant, font toute la différence à mes yeux. Aux leurs aussi, j’en suis certaine.

Comprenez-moi bien : je ne suis pas heureuse de toutes ces mesures. Je souhaiterais qu’il y en ait moins. Qu’on ait un peu plus de liberté. Mais si j’ai à choisir entre cette longue liste de mesures à appliquer en présentiel ou le télé-enseignement ? Je choisis le présentiel. À tous coups. Parce que mes élèves, je les veux dans ma classe, avec moi.

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